samedi 24 mai 2014

Un samedi à réserver (si vous êtes à Paris)

Hier, je suis allé porter des sous-verre et quelques cadres au Centre LGBT de Paris Île de France. Une association culturelle (l'association Parisci, pour ne pas la nommer) y organise samedi prochain un Salon de l'illustration et de la BD LGBT. J'y participe en prêtant un peu de matériel, mais surtout en exposant mes planches (coïncidence : j'expose les originaux de ma toute première note de blog), en faisant partie des auteurs présents et en donnant à 13h30 une conférence sur l'Histoire de la BD LGBT (et comme le répétait un de mes professeurs, "l'Histoire, c'est pas des histoires"). Ah, et puis je participerai aussi au débat sur la BD LGBT animé par Manuel Picaud. Autant dire que la journée sera longue !


samedi 3 mai 2014

Moins noir que vous ne pensez

Le site Comic Book Resources contient nombre de rubriques passionnantes sur les comic books américains. L'une de ces rubriques, Comic Book Legends Revealed, a pour but de dissiper (ou de confirmer) les mythes qui courent autour de l'histoire des comic books. On y apprend toutes sortes de choses intéressantes et dans l'un des plus récents articles, il est question d'un personnage que l'histoire des comics préfèrerait oublier : Steamboat. Steamboat était le domestique noir de Billy Batson, alias Captain Marvel. [Je parle du premier Captain Marvel, celui publié par les éditions Fawcett de 1939 à 1953.]

Steamboat était un noir couard et crédule, s'exprimant dans le parler supposé typique des noirs du Sud des Etats-Unis, et représenté avec d'énormes lèvres allant de sous le nez au menton. [Oui, ce sont des lèvres, même si à nos regards contemporains, elles font davantage penser au menton mal rasé d'Homer Simpson.]
L'article de Comic Book Legends Revealed nous apprend qu'"un groupe d'écoliers décida bel et bien de FAIRE quelque chose à ce sujet. Un groupe appelé les Youth Builders ["Bâtisseurs de la Jeunesse"], un groupe interracial d'environ 11 000 jeunes d'écoles publiques dans la région de New York et de Philadelphie envoya une pétition au responsable éditorial de Fawcett Will Lieberson pour protester contre l'utilisation de Steamboat dans les BD de Captain Marvel (de même que d'autres représentations négatives d'afro-américains, mais Steamboat était le sujet principal.)" Le personnage disparut en 1945.
Steamboat ne fut pas le seul personnage stéréotypé à disparaître à cette époque. En 1949, l'assistant du Spirit, Ebony White, fut remplacé par un jeune garçon blanc nommé Sammy.

Durant les années 1950 et une bonne partie des années 1960, les personnages noirs disparaissent des comic books. Ce seront les grands créateurs de Marvel Steve Ditko et Jack Kirby qui prendront l'initiative de les y réintroduire. Mais il ne s'agira plus, alors, de personnages affublés des stéréotypes grossiers du début des années 1940.
Il semble donc que, dans les années 1940, en matière de représentation des noirs, le seul choix laissé aux auteurs de comic books soit la caricature raciste ou l'invisibilité. Pourtant, un auteur ne peut choisir ni l'une, ni l'autre : il s'agit de Walt Kelly, créateur du comic strip Pogo, qui anime de 1942 à 1949 la série "Our Gang" dans le comic book Our Gang Comics. La bande raconte les aventures d'une bande de gamins parmi lesquels un noir du nom de Buckwheat. Elle est inspirée d'une série de courts métrages humoristiques avec avec acteurs. Kelly ne peut donc pas modifier le casting. En revanche, il fait de Buckwheat, rebaptisé Bucky, l'égal des autres gamins de la bande : ni couard, ni superstitieux, et s'exprimant dans un anglais correct. Même les lèvres du personnages diminuent de taille au fil des ans, sans pour autant disparaître. Il ne s'agit pas de "blanchir" Bucky mais d'en faire une représentation réaliste d'un noir américain. L'exemple de Walt Kelly montre que c'est possible.

Alors pourquoi la majorité des éditeurs choisissent-ils l'invisibilité ? Il y a sûrement bien des raisons. Il est plus facile de faire disparaître un personnage devenu gênant que de le modifier. Mais aussi, représenter les noirs autrement que comme des bouffons froussards comportait des risques. D'une part, le risque de s'aliéner le lectorat - supposé raciste et ségrégationniste - du Sud des Etats-Unis. D'autre part, le risque de n'être pas compris : on se souvient que, lors de l'instauration du Comics Code, cet organisme avait demandé à l'éditeur EC Comics le changement de la dernière case de Judgment Day, une histoire de science-fiction dénonçant le racisme dans une société de robots dont le protagoniste s'avérait être un cosmonaute noir. Le message était pourtant clair : alors que les robots établissaient une discrimination basée sur la couleur de la peinture qui les recouvrait, la société humaine était désormais assez avancée pour ne plus juger un être humain sur la couleur de sa peau. Passant outre l'avis du Comics Code, EC réédita l'histoire (qui datait de 1953) au début 1955 puis cessa de publier des comic books. Mais il est clair que les censeurs appointés du Comics Code soit n'avaient rien compris à l'article qui précisait que "tourner en ridicule ou attaquer n'importe quel groupe religieux ou racial n'est pas acceptable", soit considéraient que mentionner de quelque façon que ce soit un "groupe religieux ou racial" dans un comic book revenait à le tourner en ridicule ou l'attaquer. Quelle que soit la raison, le message, pour les éditeurs de comic books, était on ne peut plus clair : mieux valait rester à l'écart de ce "sujet brûlant" qu'était la représentation des noirs.