mardi 21 janvier 2014

De quel marché de la BD parlons-nous ?

Je lis un article fort intéressant de Jean-Paul Gabilliet intitulé "BD, mangas et comics : différences et influences" (1) et il me vient la réflexion suivante. Dans le cours de son article, l'auteur compare les tailles respectives des marchés de la BD, du comic book et du manga (chiffre d'affaires, pourcentage du marché de l'édition…), et donne un aperçu historique de leurs évolutions respectives. En le lisant, je me fais plusieurs réflexions. 
Tout d'abord, lorsque l'on parle de BD en chiffres, on s'intéresse toujours à l'édition en livre, et l'on ne tient pas ou peu compte de la part représentée par la presse. Les comic books, par exemple sont un support de presse, de même que les revues de BD japonaise. Mais de plus, la question du chiffre d'affaires représenté par la BD de presse achoppe toujours sur la BD publiée dans la presse non spécialisée BD. Ainsi, les comic strips publiés dans la presse quotidienne ne semblent jamais pris en compte dans les évaluations chiffrées de la valeur économique de la BD américaine. Il faut dire que cette évaluation n'est pas facile. Un comic strip est vendu directement aux journaux qui le publient, lesquels payent pour cela le syndicate qui distribue le strip. Longtemps, on a évalué le succès d'un comic strip en fonction du nombre de journaux dans lequel il était diffusé. Et dans ces journaux, on comptait aussi ceux en langue étrangère : quand le quotidien France-Soir publiait le strip américain The Heart of Juliet Jones (Juliette de mon cœur), le diffuseur américain touchait évidemment de l'argent là-dessus. Aujourd'hui, il faudrait ajouter à ces revenus la diffusion de certains strips sur internet. 
Ce qui amène une deuxième remarque : dans le calcul des revenus rapportés par une BD, quelle qu'elle soit, on ne tient jamais compte, à ma connaissance, des ventes de droits à l'étranger. Ainsi, lorsque l'on calcule le chiffre d'affaire de l'édition de BD en France, il me semble qu'il s'agit des ventes d'albums par des éditeurs français dans le marché francophone. Mais lorsqu'une BD française est publiée en Allemagne par un éditeur allemand, l'éditeur français en perçoit un revenu. [Sur ce point, cela dit, je suis peut-être mal informé ou pas assez. Il est possible, et même probable, que le calcul du chiffre d'affaires de l'édition BD tienne compte de ces ventes de droits.]
Par contre, un point dont je suis tout à fait certain, c'est celui-ci : dans l'histoire de la BD franco-belge, on oublie souvent les bandes dessinées étrangères publiées en français. Bien sûr, il n'est pas possible d'ignorer le rôle essentiel des BD américaines importées sur le marché français des illustrés des années 1930. Et lorsque l'on dresse l'état du marché contemporain, on prend bien soin de préciser la part de traductions du japonais, de l'anglais et d'autres langues sur l'ensemble des titres parus. En revanche, lorsqu'il est question des années 1950 à 1980, les historiens se focalisent sur les grands hebdomadaires franco-belges (Spirou, Tintin, Pilote, et dans une moindre mesure Vaillant/Pif, Coq Hardi et les illustrés catholiques) mais négligent totalement ce que l'on appelle abusivement les "petits formats" (abusivement car ils n'étaient pas tous si petits que ça). Or, des titres comme Pepito, Blek ou Akim, pour ne citer que ceux-là, ont été en leur temps de véritables best-sellers. Dans les années 1970 et 1980, les titres de super-héros des éditions Lug (en particulier Strange et Spécial Strange) se vendaient très bien, de même que les pockets pour adultes des éditions Elvifrance.



Les histoires de la BD franco-belge ont été et sont encore, me semble-t-il, des histoires de la BD produite en France et en Belgique, mais pas de celle qui y était effectivement lue. Or, s'il est tout à fait possible de se concentrer sur la production dans un pays comme les Etats-Unis qui ne s'est ouvert que récemment à la production étrangère, une telle approche n'est pas vraiment pertinente quand on veut rendre compte de la BD telle qu'elle a été perçue par les lecteurs (dont certains sont devenus auteurs, éditeurs, voire… traducteurs).

1. Dans Hermès n°54, La bande dessinée - art reconnu, média inconnu, CNRS éditions, 2009, Paris.

lundi 13 janvier 2014

Petites planètes

Il y a quelque chose qui m’a toujours agacé dans les vieilles BD de SF américaines des années 1950 et 1960 : le fait que lorsque les héros arrivent sur une planète, ils tombent toujours pile poil sur l’endroit où se passe l’action (civilisation à sauver, monstre à combattre, que sais-je encore). Réfléchissez-y quelques secondes : nos bonshommes (car ce sont dans leur grande majorité des bonshommes, il n’y a que rarement une bonne femme parmi eux) se posent sur une planète. Une planète. C’est grand, une planète. Et comme par hasard, ils arrivent juste dans la ville où il se passe quelque chose. Voire dans la jungle où un monstre est en train de fiche le boxon. Sacrée coïncidence, non ?

Mais en fait, pas tant que ça. Du point de vue du lecteur (qui, à l’époque, est censé avoir entre 8 et 12 ans) le monde n’est pas grand. Il n’en connaît que son environnement immédiat (la maison, l’école, l’épicerie du coin…) et ce qu’il en voit à la télévision, qui pourrait aussi bien être sur une autre planète. Et du point de vue du scénariste, qui doit raconter une histoire complète en quelques pages, il faut que l’histoire démarre vite. Si le problème à résoudre (et dans ces récits de SF, il y a toujours un problème à résoudre), c’est l’exposition et la résolution de ce problème qui sont importantes, pas la façon dont les héros le découvrent. On se trouve donc confronté dans ces histoires à des planètes finalement à peine plus grandes que celles visitées par le Petit Prince de Saint-Exupéry.