vendredi 24 octobre 2014

Parigot pur jus

Je viens de me rendre compte d'une chose : j'ai toujours habité à Paris dans des rues dont les noms sont purement parisiens. J'entends par "purement parisiens" des noms qui font référence à des choses ou des personnes qui sont absolument locales. Ma première adresse était rue de la Grande Chaumière, dans le 6e arrondissement, une rue dont le nom fait référence au bal de la Grande Chaumière, un bal populaire qui se tenait à l'emplacement de l'actuel restaurant La Closerie des Lilas (à deux pas de l'hôpital où je suis né). Mon autre adresse parisienne, rue Léon Frot, est dans une rue rebaptisée du nom d'un conseiller municipal communiste emprisonné et exécuté par l'occupant allemand pendant le Seconde Guerre mondiale. Du local, donc, rien que du local.
Autre détail amusant : l'actuel 6e arrondissement était au 19e siècle le 11e arrondissement, avant que Paris s'agrandisse et que les arrondissements soient re-numérotés. J'ai donc, d'une certaine manière, toujours vécu dans le 11e arrondissement.




samedi 13 septembre 2014

Week End


Ben lit The Guardian. Mais à Paris, ce quotidien arrive avec un jour de retard (alors qu'il est imprimé sur le continent - va comprendre, Charles !) et l'édition du samedi est bien moins fournie que la version d'origine. Aussi quand Ben et moi sommes à Londres, comme c'est le cas en ce moment, c'est avec une certaine jubilation que j'achète l'édition du samedi, avec tous ses suppléments. Voici celui d'aujourd'hui, tout frais rapporté de chez le marchand de journaux. La pochette plastifiée contient le supplément hebdomadaire Weekend Guardian et le guide des programmes télé (qui couvre aussi les sorties cinéma, la radio, etc.) En voyant tout ça, je me dis que si nos journaux français en proposaient autant, on les lirait peut-être un peu plus.

Levés plutôt tard aujourd'hui, nous sommes allés prendre le petit-déjeuner au restaurant Casa Pepe, à trois minutes à pied de chez nous. Pour moi deux œufs au plat, bacon, saucisse, haricots blancs et frites : un vrai petit-dèj' anglais comme je n'en prendrai pas tous les jours mais qui fait du bien une fois de temps en temps.

jeudi 7 août 2014

Des images LGBT sur le net

Et voilà le deuxième site tumblr que j'ai lancé récemment : il s'appelle lgbtbd.tumblr.com. En voici la page d'archives photographiée aujourd'hui :


L'idée est de compléter le site lgbtbd.free.fr, davantage consacré à des chroniques développées, par un site axé sur les images et les textes très courts. Le tumblr est également bilingue français/anglais, et devrait ainsi être accessible à un plus large public.

mercredi 30 juillet 2014

Des images de Paris sur le net

De plus en plus, on peut bloguer non seulement avec des mots mais aussi avec des images. J'ai récemment lancé deux blogs sur tumblr. Le premier s'appelle NOTPicturePostcardParis et j'y publie le genre de photos que j'aime prendre de Paris, la ville où je suis né et où j'habite : des images banales (ce que Martin Paar appellerait "Boring postcards" ou "Langweilige Postkarten") de lieux que l'on ne regarde pas, la plupart du temps. En voici un exemple :


Bref, je cherche à éviter le pittoresque et, autant que faire se peut, la présence humaine. J'aime les photos de lieux faits pour l'habitation humaine mais dont les humains sont absents. Ne me demandez surtout pas pourquoi.

dimanche 20 juillet 2014

Tristesse de Donald Duck

Crédit photo : Dominique Faget/AFP/Getty Images
C'est l'une des photos des restes de l'avion de Malaysia Airlines abattu en Ukraine. Dans la partie supérieure gauche, on reconnaît Donald. La photo est assez bonne pour identifier la BD : il s'agit de Donald Duck Pocket 202, un équivalent néerlandais de notre Mickey Parade Géant. Voilà à quoi ressemble la couverture vue de près :

Dessin de couverture de Michel Nadorp


Je passe une bonne partie de mon temps depuis des années à traduire en français des histoires de Donald, de Picsou et de Mickey et j'ai un peu tendance, à la longue, à oublier qu'au bout de la chaîne d'édition, il y a des lecteurs, qui sont en majorité des enfants. Ça me rend triste de regarder cette photo et de penser à ces enfants pour qui on avait acheté ce Donald Duck Pocket, qui sont un peu mes lecteurs, ce magazine étant composé de traductions d'histoires scandinaves et italiennes, le même genre que je traduis où j'adapte pour Picsou Magazine, Super Picsou Géant et Mickey Parade Géant.


lundi 7 juillet 2014

Traductions, Thèse et Trente-sept ans

Beaucoup, beaucoup de travail de traduction ces derniers temps, ce qui explique la fréquence pour le moins irrégulière de ce blog. On verra donc paraître, entre autres, dans les mois qui viennent, le tome 7 de La Grande Guerre de Charlie de Pat Mills et Joe Colquhoun (en octobre), et Serpents et échelles d'Alan Moore et Eddie Campbell (le 21 août).


Et puis, j'ai créé un site tumblr pour les photos que je prends des vues les moins pittoresques de Paris (j'ai horreur du pittoresque). Ça s'appelle NOT Picture Postcard Paris et ça se trouve .

Parmi les photos mises en ligne, celle-ci, prise le 23 juin du dix-huitième étage de la Tour Sud de la Bibliothèque nationale de France lors de la soutenance de thèse de Sylvain Lesage. Cette thèse s'intitulait "L'effet codex : quand la bande dessinée gagne le livre. L'album de bande dessinée en France de 1950 à 1990" et d'après ce qu'en disaient les membres du jury (qui l'avaient lue, eux, les veinards !) elle semblait passionnante. J'espère qu'elle fera bientôt l'objet d'une publication.



Tiens, je viens de me rendre compte qu'aujourd'hui, cela fait exactement trente-sept ans que j'ai eu mon Bac et ça ne me rajeunit pas, tout ça, mon pauv'monsieur !


samedi 24 mai 2014

Un samedi à réserver (si vous êtes à Paris)

Hier, je suis allé porter des sous-verre et quelques cadres au Centre LGBT de Paris Île de France. Une association culturelle (l'association Parisci, pour ne pas la nommer) y organise samedi prochain un Salon de l'illustration et de la BD LGBT. J'y participe en prêtant un peu de matériel, mais surtout en exposant mes planches (coïncidence : j'expose les originaux de ma toute première note de blog), en faisant partie des auteurs présents et en donnant à 13h30 une conférence sur l'Histoire de la BD LGBT (et comme le répétait un de mes professeurs, "l'Histoire, c'est pas des histoires"). Ah, et puis je participerai aussi au débat sur la BD LGBT animé par Manuel Picaud. Autant dire que la journée sera longue !


samedi 3 mai 2014

Moins noir que vous ne pensez

Le site Comic Book Resources contient nombre de rubriques passionnantes sur les comic books américains. L'une de ces rubriques, Comic Book Legends Revealed, a pour but de dissiper (ou de confirmer) les mythes qui courent autour de l'histoire des comic books. On y apprend toutes sortes de choses intéressantes et dans l'un des plus récents articles, il est question d'un personnage que l'histoire des comics préfèrerait oublier : Steamboat. Steamboat était le domestique noir de Billy Batson, alias Captain Marvel. [Je parle du premier Captain Marvel, celui publié par les éditions Fawcett de 1939 à 1953.]

Steamboat était un noir couard et crédule, s'exprimant dans le parler supposé typique des noirs du Sud des Etats-Unis, et représenté avec d'énormes lèvres allant de sous le nez au menton. [Oui, ce sont des lèvres, même si à nos regards contemporains, elles font davantage penser au menton mal rasé d'Homer Simpson.]
L'article de Comic Book Legends Revealed nous apprend qu'"un groupe d'écoliers décida bel et bien de FAIRE quelque chose à ce sujet. Un groupe appelé les Youth Builders ["Bâtisseurs de la Jeunesse"], un groupe interracial d'environ 11 000 jeunes d'écoles publiques dans la région de New York et de Philadelphie envoya une pétition au responsable éditorial de Fawcett Will Lieberson pour protester contre l'utilisation de Steamboat dans les BD de Captain Marvel (de même que d'autres représentations négatives d'afro-américains, mais Steamboat était le sujet principal.)" Le personnage disparut en 1945.
Steamboat ne fut pas le seul personnage stéréotypé à disparaître à cette époque. En 1949, l'assistant du Spirit, Ebony White, fut remplacé par un jeune garçon blanc nommé Sammy.

Durant les années 1950 et une bonne partie des années 1960, les personnages noirs disparaissent des comic books. Ce seront les grands créateurs de Marvel Steve Ditko et Jack Kirby qui prendront l'initiative de les y réintroduire. Mais il ne s'agira plus, alors, de personnages affublés des stéréotypes grossiers du début des années 1940.
Il semble donc que, dans les années 1940, en matière de représentation des noirs, le seul choix laissé aux auteurs de comic books soit la caricature raciste ou l'invisibilité. Pourtant, un auteur ne peut choisir ni l'une, ni l'autre : il s'agit de Walt Kelly, créateur du comic strip Pogo, qui anime de 1942 à 1949 la série "Our Gang" dans le comic book Our Gang Comics. La bande raconte les aventures d'une bande de gamins parmi lesquels un noir du nom de Buckwheat. Elle est inspirée d'une série de courts métrages humoristiques avec avec acteurs. Kelly ne peut donc pas modifier le casting. En revanche, il fait de Buckwheat, rebaptisé Bucky, l'égal des autres gamins de la bande : ni couard, ni superstitieux, et s'exprimant dans un anglais correct. Même les lèvres du personnages diminuent de taille au fil des ans, sans pour autant disparaître. Il ne s'agit pas de "blanchir" Bucky mais d'en faire une représentation réaliste d'un noir américain. L'exemple de Walt Kelly montre que c'est possible.

Alors pourquoi la majorité des éditeurs choisissent-ils l'invisibilité ? Il y a sûrement bien des raisons. Il est plus facile de faire disparaître un personnage devenu gênant que de le modifier. Mais aussi, représenter les noirs autrement que comme des bouffons froussards comportait des risques. D'une part, le risque de s'aliéner le lectorat - supposé raciste et ségrégationniste - du Sud des Etats-Unis. D'autre part, le risque de n'être pas compris : on se souvient que, lors de l'instauration du Comics Code, cet organisme avait demandé à l'éditeur EC Comics le changement de la dernière case de Judgment Day, une histoire de science-fiction dénonçant le racisme dans une société de robots dont le protagoniste s'avérait être un cosmonaute noir. Le message était pourtant clair : alors que les robots établissaient une discrimination basée sur la couleur de la peinture qui les recouvrait, la société humaine était désormais assez avancée pour ne plus juger un être humain sur la couleur de sa peau. Passant outre l'avis du Comics Code, EC réédita l'histoire (qui datait de 1953) au début 1955 puis cessa de publier des comic books. Mais il est clair que les censeurs appointés du Comics Code soit n'avaient rien compris à l'article qui précisait que "tourner en ridicule ou attaquer n'importe quel groupe religieux ou racial n'est pas acceptable", soit considéraient que mentionner de quelque façon que ce soit un "groupe religieux ou racial" dans un comic book revenait à le tourner en ridicule ou l'attaquer. Quelle que soit la raison, le message, pour les éditeurs de comic books, était on ne peut plus clair : mieux valait rester à l'écart de ce "sujet brûlant" qu'était la représentation des noirs.



mardi 29 avril 2014

Il faut sauver le soldat Pif le chien

C'est un article d'Henri Filippini sur le site BDZoom, dans la rubrique Patrimoine. Un article consacré à la série Pif le chien. Henri Filippini voudrait y voir une "tragédie éditoriale". D'ailleurs, c'est comme cela qu'il intitule son article : "Pif le chien : histoire d'une tragédie éditoriale". 
L'auteur s'y montre très critique vis-à-vis de la décision prise à la fin des années 1960 de moderniser l'univers de Pif. Tout à sa volonté de démontrer qu'il s'agissait d'une "erreur funeste", il oublie de noter que le Pif "moderne" dure de 1969 à 1994 (c'est-à-dire du lancement de la transformation de Vaillant en Pif-Gadget jusqu'à l'arrêt du journal), soit la bagatelle de 25 ans. Il ne remarque pas non plus que Pif, qui a fait ses débuts dans le quotidien l'Humanité, arrivant dans les pages de Vaillant en 1952, la période du journal mettant en vedette le Pif "classique" ne dure que 17 ans. Et si la décision de moderniser l'univers de Pif n'avait pas été une "erreur funeste" mais au contraire ce qui a permis à la bande de durer aussi longtemps ? 
Henri Filippini remarque fort justement que "(l)a presse BD communiste française a toujours curieusement lorgné vers les Etats-Unis en matière de bande dessinée." (Passons sur le "curieusement" : en quoi serait-ce curieux, pour un éditeur commercial, de chercher à s'inspirer d'une BD qui a du succès ?) Il regrette que Pif "héros bien de chez nous, campé par un artisan de la bande dessinée, (perde) peu à peu son identité tout au long de cette débauche d'auteurs qui ont pour consigne d'en faire un nouveau "Mickey Mouse"" Mais cette identité qu'il regrette, c'est celle d'un personnage de comédie familiale, donc pas une identité à proprement parler mais un rôle, puisqu'avant d'être adopté par la famille de Tonton, Tata et Doudou, Pif était un chien errant. 
En 1969, Pif troque son ancien rôle contre un nouveau, et s'il fallait le comparer à un personnage américain à succès, ce serait plutôt à Donald Duck qu'à Mickey Mouse. L'univers de Pif qui s'élabore à partir de 1969, avec ses savants géniaux et farfelus, sa localisation urbaine plutôt que campagnarde, l'accent mis sur l'aventure plutôt que sur la comédie, évoque naturellement l'œuvre de Carl Barks. Et d'ailleurs, une bonne partie des auteurs qui animèrent le Pif "moderne" travaillent en parallèle pour Le Journal de Mickey. Par contre, là où la comparaison Pif/Mickey s'avère juste, c'est dans le caractère trop positif des deux personnages. Ils sont trop gentils. Donald, avec ses défauts, offre davantage de possibilités à un scénariste. De plus, Donald est clairement positionné comme un adulte, qui doit travailler pour gagner sa vie (et nourrir sa famille). Pif et Mickey correspondent en revanche au type de héros aventurier vivant dans une éternelle adolescence à l'abri des contraintes économiques.
Il y aurait beaucoup à redire dans cet article sur la manière dont Henri Fillipini mélange allègrement l'histoire éditoriale du journal Vaillant/Pif Gadget et l'histoire de la série Pif le chien. La "tragédie éditoriale" est-elle celle de la série où l'arrêt d'un journal qui avait été l'une des plus belles ventes de la presse BD française ? Ou bien, plus probablement, n'y a-t-il pas eu de tragédie du tout, mais l'évolution - somme toute assez normale - d'une série destinée à la jeunesse. Contrairement à ce que semble penser Henri Filippini, les goûts des jeunes lecteurs ne sont pas immuables, tout simplement parce que chaque génération grandit dans un environnement culturel différent. Il serait d'ailleurs intéressant de se demander pourquoi certains personnages de BD parviennent à traverser les générations et d'autres pas, mais aussi jusqu'à quel point certains héros peuvent changer avec le temps. Les succès durables d'un Donald Duck ou d'un Superman laissent à penser que ce qui est important, c'est que le héros reste fondamentalement lui-même, tout en étant suffisamment malléable pour s'accommoder de modifications de surface. 

jeudi 27 mars 2014

Troubles dans le Genre

L'actuelle campagne d'intoxication des esprits visant à faire passer toute tentative de lutte contre le sexisme pour un vaste complot inspiré par une soi-disant Théorie du Genre a de sales relents nauséabonds. On pense, devant les efforts des "anti-genre" visant à décrédibiliser et à combattre une "théorie" qui n'existe que dans leur imagination détraquée, aux Protocoles des Sages de Sion et à tous les antisémites qui ont vu dans ce document inventé de toutes pièces la preuve irréfutable de toutes leurs propres craintes, haines et préjugés. Toute cette agitation n'a évidemment pas grand chose à voir avec la réalité des études de genre et les travaux d'un Michel Foucault ou d'une Judith Butler, pour ne citer que les plus connus. Mais certains ont vaguement cru comprendre que ces fumeux intellectuels remettaient en cause l'ordre "naturel" des choses de Papa fume sa pipe et Maman fait la cuisine.
Pourtant, l'ordre "naturel", au fil des siècles, on a vu qu'il n'était pas si naturel que certains l'affirmaient. La hiérarchie noblesse, clergé, tiers-état qui fondait la société d'Ancien Régime, n'existe plus. Les femmes ont le droit de vote et le monde ne s'est pas effondré. Alors, est-ce que la Nature ne serait plus ce qu'elle était ? Ou bien plus simplement, est que l'on n'invoque pas la Nature un peu à tort et à travers, quand ça nous arrange ? 
Par exemple, est-il "naturel" de porter des vêtements ? Je ne connais pas beaucoup de bêtes qui aillent en jean et tee-shirt, a fortiori en costume-cravate, éventuellement quelques toutous qui portent des petits manteaux, mais ce ne sont pas eux qui les ont tricotés. Alors pourquoi tout ce tintouin fait par un certain Jean-François C. de Meaux à propos d'un livre pour enfants (Tous à poil !) où tout le monde retire ses vêtements ? Est-ce que ce n'est pas plus naturel ? Apparemment, selon lui, mettre les gens tout nus, ça ferait désordre. Un désordre naturel ?

dimanche 16 mars 2014

Catastrophe ? Quelle Catastrophe ?

Je relisais l'article d'Harry Morgan sur "Les Penguin Books et la Catastrophe des années 1970". Est-ce parce que je suis dans une ambiance britannico-librophile, étant actuellement, et encore pour quelques jours, à Londres, où je ne manque pas de fourrer mon nez dans toutes les librairies et bouquineries que je rencontre ? Je dois dire que je ne suis pas du tout d'accord avec les appréciations esthétiques contenues dans cet article.
Non, les années 1970 ne m'apparaissent pas une "Catastrophe" (avec une majuscule pour en souligner la gravité) et je ne suis pas convaincu par les arguments d'Harry. Il me semble que le design des Penguin Books a toujours mis l'esthétique au service du marketing (ce qui n'a rien, a priori, de condamnable) puisqu'il s'agissait de rendre un livre le plus attractif possible à un public de masse, et ce pour le prix le plus bas possible. Certes, on peut trouver très jolie la sobriété du design hérité des années 1930, mais n'oublions pas qu'elle était en partie dictée par le coût de l'impression : deux couleurs, cela coûte moins cher à imprimer que quatre. À partir des années 1960, il aurait été impensable de proposer au grand public des livres de poches sans couvertures en quadrichromie alors qu'on en trouvait partout ailleurs : au cinéma, sur les  magazines et, bien sûr, sur les livres de poche des éditeurs concurrents. Puisque les principes organisateurs des couvertures (les trois bandes, en particulier) sont un héritage direct de la période de la bichromie, quelle raison aurait-on eu de les conserver une fois la quadrichromie entrée dans les mœurs ?
Comme les couvertures des romans d'Evelyn Waugh édités dans les années 1970 sont donnés comme "bonne illustration de la Catastrophe", j'ai eu la curiosité de mettre côte à côte différentes couvertures de Brideshead Revisited du même Evelyn Waugh. Je ne suis pas certain de l'ordre chronologique des deux dernières. 


La première version est la "classique" mise en avant comme exemple de design sobre et élégant. Mais  je remarque que c'est un design basé sur le principe élitiste que la couverture n'a rien d'autre à apprendre à l'acheteur potentiel que le titre et le nom de l'auteur. 


Dès que l'on veut fournir des informations sur l'atmosphère du livre, son contenu, la teneur du récit, on est obligé d'avoir recours soit aux mots, soit à l'image. L'exemple ci-dessous a recours au mots et je ne trouve pas cela très heureux d'un point de vue esthétique. Cela fait "livre générique". Toutefois, il existe de nombreux exemples de Penguin Books de la même période utilisant une illustration en noir et blanc à l'emplacement central (1).



Cette illustration fonctionne bien, je trouve, parce que Quentin Blake, son auteur, est un illustrateur (qui a donc l'habitude de synthétiser en une image une portion plus ou moins importante de texte) et que la sobriété de son dessin se marie bien avec la sobriété du design. 


Ce qui est intéressant, c'est que la couverture des années 1970 choisit la même scène que celle illustrée par Blake : un pique-nique entre jeunes gens de la bonne société. S'agit-il vraiment de pasticher le style art déco, comme le suppose Harry Morgan, ou de le réinterpréter à la lumière du "psychédélisme" de la fin des années 1960 ? Je vois dans cette image, dans les typographies, le graphisme "ligne claire rencontre le dessin animé Yellow Submarine" des choix graphiques proches de ceux d'un Joost Swarte à la même époque. C'est sans aucun doute la plus "baroque" des six et la moins sobre. Et alors ? Préférer a priori le baroque au classique (ou vice versa) est une question de goût, rien de plus. Il y a du beau baroque et du moche baroque. Dans le genre, je trouve celui-ci plutôt joli.




Je ne sais pas laquelle des deux couvertures est la plus récente. Du point de vue des informations fournies, on reconnaît sur la seconde les universités anglaises du type Oxbridge. Bien sûr, la période n'est pas aussi bien indiquée que dans la première (encore que la photo de bal puisse dater des années 1920 ou 1930, ce qui n'est pas trop précis non plus). Finalement, la couverture des années 1970 était, mine de rien, beaucoup plus riche d'informations sur le contenu du livre. On en est revenu à une certaine sobriété, loin des "horreurs de la mode rétro" dénoncée par Harry Morgan, mais dans le cas des romans d'Evelyn Waugh, il ne s'agissait pas seulement de sacrifier à une mode mais aussi de signaler par différents éléments évoquant l'époque (la typographie, les cadres, la décoration) que l'on se situe dans les années 1920. L'image seule arrive à fournir une indication (le cadre de l'université ou la période) mais pas plus d'une indication à la fois. Cette couverture d'un recueil de nouvelles de Fitzgerald est un autre exemple de la typo et du design comme élément informatif :


Il se trouve que c'est la même édition Penguin que j'utilisais dans le cadre d'un cours de littérature américaine lors de mes études d'anglais à la fin des années 1970. On peut aimer ou pas (moi-même, j'ai tellement vu cette image que je ne la regarde plus - elle s'est naturalisée). En revanche, impossible de nier que la maquette donne une information (les récits se passent dans les années 1920) et que la photo en donne une autre (ça parle de gens riches). Il est évident qu'appliquer une telle maquette de couverture à un auteur contemporain n'aurait pas de sens. Et on ne le faisait d'ailleurs pas à l'époque.

Finalement, ce que révèle ce rapide survol des couvertures Penguin, c'est qu'à toutes les époques, les graphistes réalisant les maquettes de couvertures de livres ont eu à choisir entre deux options : avoir une ligne graphique unifiée appliquée à tous les livres de tous les auteurs de toutes les époques ou bien donner aux livres d'un auteur ou d'une période une identité graphique propre. En bande dessinée, la première option serait celle de l'Association chez qui chaque collection a son format et son identité graphique (lesquels déclinent une identité graphique globale de la maison d'édition) tandis que la seconde serait celle d'éditeurs nord-américains comme Fantagraphics ou Drawn and Quarterly pour qui chaque livre ou série de livres possède identité et format propres. Alors certes, les choix sont fonction de modes et d'impératifs techniques. Notre époque postmoderne ne semble pas vraiment faire de choix, capable d'apprécier des designs très sobres comme les excès baroques des couvertures de pulps (en magazine ou en livre de poche). Et si la "Catastrophe", c'était tout simplement le fait que l'on accepte aujourd'hui que les choses puissent être belles avec des parti pris esthétiques différents, sans que les unes soient "plus" belles et les autres "moins" ? Pas si catastrophique que ça, je trouve.


1. Trois exemples de couvertures de cette période avec l'illustration au centre. Le premier est à la fois joli, ingénieux et intriguant : on a envie de savoir qui est cet "homme qui n'avait jamais existé". Le deuxième présente un dessin très sympa avec une utilisation intéressante de la bichromie noir/rouge, mais je trouve que les bandes oranges ne sont pas dans ce cas du meilleur effet. À tout prendre, un donc complètement blanc mettrait mieux le dessin en valeur, il me semble. Le troisième exemple n'est ni particulièrement joli ni particulièrement informatif. Je n'ai aucune idée de quoi parle The Disenchanted (de cinéma ?) dont le titre est déjà ambigu en anglais (s'agit-il du désenchanté ou des désenchantés ?) et cette image ne m'aide absolument pas.





dimanche 9 mars 2014

mercredi 5 mars 2014

Le Traducteur invisible

Petit énervement du matin. Je feuillette le nouveau numéro de Télérama qui vient d'arriver dans ma boîte aux lettres. À la rubrique livres, huit ouvrages sont chroniqués dont cinq par des auteurs étrangers : deux romans, un volume de "mémoires", un essai et une BD. Tous les traducteurs de ces ouvrages sont dûment cités, sauf un. Devinez lequel ?
Si vous avez répondu, "celui de la BD", vous avez gagné. Mais vous n'avez pas tant de mérite que ça, reconnaissez-le. Car il est bien connu que les essais et autres romans étrangers nécessitent des traducteurs pour devenir accessibles aux lecteurs français, tandis que les bandes dessinées, évidemment, arrivent déjà traduites sur le bureau de leur éditeur. Comment ça, ce n'est pas possible ? Alors comment expliquer l'absence de nom du traducteur seulement pour la BD ?
Peut-être que la rédaction de Télérama considère que le traducteur d'une BD ne mérite pas d'être mentionné. Une BD, c'est tellement facile à traduire, n'est-ce pas ? Tiens, pourtant, il s'agit d'un manga de Hitoshi Iwaaki. Tout de même, le japonais, c'est coton, comme langue, à apprendre. Au moins autant que l'allemand et l'anglais, langues d'où sont traduits les romans et l'essai. 
Il faut croire que le rédacteur de la chronique, Stéphane Jarno, a lu Eurêka ! (c'est le titre du manga) en version originale japonaise. Forcément. Sans ça, il aurait le minimum de reconnaissance dû à celui ou celle qui lui a permis d'écrire sa chronique (et de gagner le montant de la pige qui va avec l'écriture de cette chronique). Personne n'est aussi ingrat.

samedi 22 février 2014

mercredi 19 février 2014

Qui a peur de la BD gay ?

La toute récente sortie du deuxième album de Jérômeuh, Un Garçon au poil, m'a replongé dans diverses réflexions que je me fais depuis des années - que dis-je, des décennies - au sujet de la presse gay française et de sa relation à la bande dessinée.

Un garçon au poil reprend en album un certain nombre de planches parues sur le Viril blog de Jérômeuh et dans le mensuel Têtu. Mais si vous feuilletez Têtu, ne cherchez pas d'autres planches de la série animée par Jérômeuh : elle n'y paraît plus depuis le changement de formule du mois de juin 2013. La BD n'a jamais occupé dans Têtu qu'une place très mineure, voire pas de place du tout, et cette élimination d'une pauvre planche de BD mensuelle dans un magazine qui compte quand même 148 pages est bien symptomatique de la place occupée par la bande dessinée au sein de la culture gay pour ceux qui s'en veulent les médiateurs : quasiment nulle.
Ce n'est d'ailleurs pas nouveau. La présence d'une série BD dans Têtu relevait déjà du miracle, puisqu'il n'y avait quasiment rien eu de ce genre jusque là dans le magazine (qui existe quand même depuis 1995). Et ce n'est pourtant pas faute, de la part d'auteurs de BD gays, d'avoir essayé de s'y faire une place. Hugues Barthe, par exemple, auteur de Dans la peau d'un jeune homo et Bienvenue dans le Marais, avait déjà essayé en vain de placer des BD dans Têtu
Et la situation pour le moins précaire de la BD dans les médias gays ne date pas d'hier. La revue Gai Pied (parue de 1979 à 1992) avait déjà une relation à éclipses avec la BD, mais au moins, elle en publiait. Citons pour mémoire les BD de Copi, la série Poppers de l'américain Jerry Mills, les bandes de Ralf König et celles de Cunéo, entre autres. Mais Cunéo, qui fut le dernier dessinateur de BD "régulier" de Gai Pied, m'avait confié qu'il lui avait souvent été difficile de placer ses planches dans l'hebdomadaire. Par une ironie de l'histoire, le seul moment de la vie du Gai Pied où une BD de Cunéo était présente chaque semaine sans faillir était durant les derniers mois de publication, quand il tenait en BD une chronique de la mort annoncée de la revue.
Une couverture de Gai Pied
illustrée par le dessinateur
de BD espagnol Nazario.
C'était en 1986.
Tout cela est assez choquant lorsque l'on compare la situation de la BD dans la presse gay d'autres pays. En Grande-Bretagne, un dessinateur comme David Shenton a pu fêter il y a quelques années, trois décennies de présence ininterrompue dans les médias gays locaux. Aux Etats-Unis, c'est la presse gay qui a permis la publication de bandes comme Wendel d'Howard Cruse, Leonard and Larry de Tim Barela et Dykes To Watch Out For d'Alison Bechdel. La série Konrad une Paul de Ralf König a d'abord été conçue comme une bande régulière dans le mensuel allemand Magnus.
La relation entre la presse gay et la bande dessinée relève pourtant d'un intérêt mutuel : le magazine profite de l'effet de fidélisation du lectorat de la BD, qui montre souvent la vie quotidienne des gays d'une manière humoristique (ce qui n'exclut pas les sujets graves) ; en contrepartie, la BD profite de la large audience que lui apporte le magazine (dont ne profite pas une bande publiée directement en album).
Pourquoi la presse gay française n'a-t-elle jamais voulu profiter de cette relation dont tout le monde sort gagnant ? Est-ce parce que, pour ceux qui l'éditent, publier de la BD n'est pas aussi culturellement valorisant que parler de littérature (générale, forcément générale) et d'Art avec un grand A ? La presse gay française serait-elle incurablement élitiste ?

mardi 18 février 2014

D'une certaine BD franco-belge qui ne se porte pas très bien, il faut l'avouer…

Passé aujourd'hui aux éditions Çà et Là pour lesquelles je suis en train de traduire Snakes and Ladders, un monologue d'Alan Moore mis en images par Eddie Campbell. Discussion avec Serge Ewencwyk, créateur de la maison d'édition, qui a récemment publié sur son blog le bilan des ventes de 2013. L'un des sujets abordés était que les éditeurs de BD, qu'ils soient grand ou petits, publient beaucoup de livres dont les ventes ne dépassent pas les quelques milliers, voire les quelques centaines d'exemplaires. La plupart des gens semblent incapables de comprendre que le potentiel de vente d'un livre - et par là toute l'économie qui en découle - ne dépend pas de la taille de sa maison d'édition. Il y avait eu il y a quelques mois une discussion assez animée sur actuaBD au sujet de la rémunération des auteurs dans la revue Papier, publiée par les éditions Delcourt. En me basant sur les informations données par le rédacteur en chef de la revue, Lewis Trondheim, sur son tirage et les ventes escomptées, ainsi que sur son prix de vente, j'avais calculé que la rémunération annoncée me semblait juste. Mais décidément, pour certains participants, l'idée qu'un gros éditeur comme Delcourt envisage de publier et de vendre une revue à "seulement" 3000 exemplaires était le signe d'un manque d'ambition de sa part. Comme on dit en anglais : "damned if you do, damned if you don't".
Ces dernières années, on a beaucoup écrit et commenté sur la surproduction dans le domaine de la BD, et sur les conséquences désastreuses qu'elles auraient sur les revenus des auteurs. J'ai l'impression que l'on a sur ce sujet considérablement généralisé. Il me semble qu'il n'y a pas aujourd'hui un marché de la BD mais des marchés (par exemple celui de la BD jeunesse, celui du roman graphique…) qui ne servent pas les mêmes publics. Celui de ces marchés qui souffre véritablement, c'est celui de la BD de distraction destinée au grand public adolescent et adulte, souvent organisée dans le cadre de genres comme le polar, la fantasy, l'aventure historique, etc. Cette BD, publiée sous forme d'albums cartonnés en couleurs d'une cinquantaine de pages, est en perte de vitesse. Et il est difficile d'imaginer comment elle ne le serait pas puisqu'elle traîne toujours les handicaps structurels qu'elle avait déjà il y a une vingtaine d'années, quand le marché se réduisait à environ 6 à 700 sorties annuelles (contre environ 5000 aujourd'hui) : cherté du support, fréquence de publication trop lente (un album par an), lecture trop rapide… Face à la concurrence des comics américains, des mangas, des séries télé, du cinéma, des jeux vidéo, cette BD de distraction fait de moins en moins le poids. Du moins dans sa présentation actuelle, dans son format de publication actuel. Et sa rentabilité globale est en chut libre. D'où la question : trouvera-t-on le moyen de la rendre à nouveau rentable et quelque peu populaire avant qu'elle ne meure de sa belle mort ?

mardi 21 janvier 2014

De quel marché de la BD parlons-nous ?

Je lis un article fort intéressant de Jean-Paul Gabilliet intitulé "BD, mangas et comics : différences et influences" (1) et il me vient la réflexion suivante. Dans le cours de son article, l'auteur compare les tailles respectives des marchés de la BD, du comic book et du manga (chiffre d'affaires, pourcentage du marché de l'édition…), et donne un aperçu historique de leurs évolutions respectives. En le lisant, je me fais plusieurs réflexions. 
Tout d'abord, lorsque l'on parle de BD en chiffres, on s'intéresse toujours à l'édition en livre, et l'on ne tient pas ou peu compte de la part représentée par la presse. Les comic books, par exemple sont un support de presse, de même que les revues de BD japonaise. Mais de plus, la question du chiffre d'affaires représenté par la BD de presse achoppe toujours sur la BD publiée dans la presse non spécialisée BD. Ainsi, les comic strips publiés dans la presse quotidienne ne semblent jamais pris en compte dans les évaluations chiffrées de la valeur économique de la BD américaine. Il faut dire que cette évaluation n'est pas facile. Un comic strip est vendu directement aux journaux qui le publient, lesquels payent pour cela le syndicate qui distribue le strip. Longtemps, on a évalué le succès d'un comic strip en fonction du nombre de journaux dans lequel il était diffusé. Et dans ces journaux, on comptait aussi ceux en langue étrangère : quand le quotidien France-Soir publiait le strip américain The Heart of Juliet Jones (Juliette de mon cœur), le diffuseur américain touchait évidemment de l'argent là-dessus. Aujourd'hui, il faudrait ajouter à ces revenus la diffusion de certains strips sur internet. 
Ce qui amène une deuxième remarque : dans le calcul des revenus rapportés par une BD, quelle qu'elle soit, on ne tient jamais compte, à ma connaissance, des ventes de droits à l'étranger. Ainsi, lorsque l'on calcule le chiffre d'affaire de l'édition de BD en France, il me semble qu'il s'agit des ventes d'albums par des éditeurs français dans le marché francophone. Mais lorsqu'une BD française est publiée en Allemagne par un éditeur allemand, l'éditeur français en perçoit un revenu. [Sur ce point, cela dit, je suis peut-être mal informé ou pas assez. Il est possible, et même probable, que le calcul du chiffre d'affaires de l'édition BD tienne compte de ces ventes de droits.]
Par contre, un point dont je suis tout à fait certain, c'est celui-ci : dans l'histoire de la BD franco-belge, on oublie souvent les bandes dessinées étrangères publiées en français. Bien sûr, il n'est pas possible d'ignorer le rôle essentiel des BD américaines importées sur le marché français des illustrés des années 1930. Et lorsque l'on dresse l'état du marché contemporain, on prend bien soin de préciser la part de traductions du japonais, de l'anglais et d'autres langues sur l'ensemble des titres parus. En revanche, lorsqu'il est question des années 1950 à 1980, les historiens se focalisent sur les grands hebdomadaires franco-belges (Spirou, Tintin, Pilote, et dans une moindre mesure Vaillant/Pif, Coq Hardi et les illustrés catholiques) mais négligent totalement ce que l'on appelle abusivement les "petits formats" (abusivement car ils n'étaient pas tous si petits que ça). Or, des titres comme Pepito, Blek ou Akim, pour ne citer que ceux-là, ont été en leur temps de véritables best-sellers. Dans les années 1970 et 1980, les titres de super-héros des éditions Lug (en particulier Strange et Spécial Strange) se vendaient très bien, de même que les pockets pour adultes des éditions Elvifrance.



Les histoires de la BD franco-belge ont été et sont encore, me semble-t-il, des histoires de la BD produite en France et en Belgique, mais pas de celle qui y était effectivement lue. Or, s'il est tout à fait possible de se concentrer sur la production dans un pays comme les Etats-Unis qui ne s'est ouvert que récemment à la production étrangère, une telle approche n'est pas vraiment pertinente quand on veut rendre compte de la BD telle qu'elle a été perçue par les lecteurs (dont certains sont devenus auteurs, éditeurs, voire… traducteurs).

1. Dans Hermès n°54, La bande dessinée - art reconnu, média inconnu, CNRS éditions, 2009, Paris.

lundi 13 janvier 2014

Petites planètes

Il y a quelque chose qui m’a toujours agacé dans les vieilles BD de SF américaines des années 1950 et 1960 : le fait que lorsque les héros arrivent sur une planète, ils tombent toujours pile poil sur l’endroit où se passe l’action (civilisation à sauver, monstre à combattre, que sais-je encore). Réfléchissez-y quelques secondes : nos bonshommes (car ce sont dans leur grande majorité des bonshommes, il n’y a que rarement une bonne femme parmi eux) se posent sur une planète. Une planète. C’est grand, une planète. Et comme par hasard, ils arrivent juste dans la ville où il se passe quelque chose. Voire dans la jungle où un monstre est en train de fiche le boxon. Sacrée coïncidence, non ?

Mais en fait, pas tant que ça. Du point de vue du lecteur (qui, à l’époque, est censé avoir entre 8 et 12 ans) le monde n’est pas grand. Il n’en connaît que son environnement immédiat (la maison, l’école, l’épicerie du coin…) et ce qu’il en voit à la télévision, qui pourrait aussi bien être sur une autre planète. Et du point de vue du scénariste, qui doit raconter une histoire complète en quelques pages, il faut que l’histoire démarre vite. Si le problème à résoudre (et dans ces récits de SF, il y a toujours un problème à résoudre), c’est l’exposition et la résolution de ce problème qui sont importantes, pas la façon dont les héros le découvrent. On se trouve donc confronté dans ces histoires à des planètes finalement à peine plus grandes que celles visitées par le Petit Prince de Saint-Exupéry.